29 mai 2020

L'artillerie antiaérienne

Une subdivision méconnue


La défense contre aéronefs (DCA), en France, échoyait majoritairement à l'Artillerie. L'armée de l'Air et la Marine nationale avaient cependant la responsabilité de défendre leurs infrastructures ; c'est uniquement dans cette optique qu'elles mettaient en œuvre des pièces de DCA.

Rapide panorama :

À la mobilisation, les régiments d'artillerie de défense contre-aéronefs (RADCA) furent dissous. Leurs groupes, et ceux créés avec l'apport des réservistes, furent affectés, soit aux armées terrestres, soit à la défense anti-aérienne du territoire (DAT). Il en alla de même pour les batteries autonomes créées durant le conflit : certaines servirent à la DAT, d'autres à la défense des divisions de l'armée de Terre.

Canon de 25 mm CA 39 Hotchkiss de France 40 - Véhicules. Photo Y Morin
Ces unités étaient principalement dotées de canon de 75 mm contre-aéronefs. Certains modèles étaient relativement récents, mais d'autres dataient de la "Grande Guerre" ; le matériel d'acquisition de cible n'était pas la hauteur des pièces et des cibles les plus modernes. À côté de ces bouches à feu, on trouvait quelques pièces lourdes de 105 mm, 94 mm ou 90 mm, des canons Bofors de 40 mm et des canons Hotchkiss de 25 mm ; mais ces matériels récents manquaient. Il existait également des sections de mitrailleuses avec des armes de 13,2 mm.

D'autres part, il faut ajouter du matériel de repérage. Certains groupes ne mettaient pas en œuvre des canons, mais des projecteurs ou des appareils de repérage au son. Contrairement à notre allié britannique, nous ne disposions pas de radar pour le repérage des formations ennemies ou le réglage du tir.

La DCA aux armées :

Plaque à la mémoire du Lt/Col Émile Le Nôtre, commandant la DCA de la Ire Armée,
tué lors d'un bombardement aérien du Fort des Dunes (Photo : R. Lebourg)
Les unités de DCA aux armées étaient principalement des groupes dotés de canons de 75 mm mobiles. Ces unités étaient chapeautées par l'état-major des forces aériennes et forces terrestre anti-aérienne de leur armée d'affectation, comme les unités de l'armée de l'Air détachées. Elles étaient d'ailleurs reliées au groupe de chasse de l'armée dans un réseau de communication dédiés. À  la Ve Armée, le service de guet de la DCA futt utilisé par la chasse dans son système d'alerte et une liaison radio fut également mise en place pour le guidage des chasseurs, au cours de l'automne 1939.

Les corps d'armée ne reçurent aucune unité de DCA. En revanche, les divisions devaient être dotées d'une batterie antiaérienne de canons de 25 mm. Toutes ne rejoignirent pas. Ces pièces ont également été affectées aux batteries anti-chars autonomes équipées de Laffly W 15T CC. Les régiments d'infanterie devaient également être dotés d'une section de "mitrailleuses" Oerlikon de 20 mm. Tous ne la reçurent pas et, lorsque ce fut le cas, cette dernière n'était pas toujours complète. Sinon, la défense anti-aérienne rapprochée restait assurée par les mitrailleuses et fusils-mitrailleurs.

Il reste que la défense sol-air des unités de l'armée françaises fut globalement assez déficiente et reposait encore trop majoritairement sur des fusil-mitrailleurs et des mitrailleuses de 8 mm de modèles parfois anciens. Ces armes n'étaient théoriquement efficaces que contre les avions volant à très basse altitude. Les mitrailleuses Hotchkiss de 13,2 mm protégeant les ballons d'observation montrèrent d'ailleurs une relative inefficacité dès septembre 1939 !


La DAT :

La DCA opérant en défense aérienne du territoire, ne couvrait que les principaux points du territoire. Plusieurs batteries furent ainsi installées en région parisienne (pour des raisons évidentes), mais également le long de la basse Seine (Rouen, raffineries de Port-Jérôme, le Havre...), dans le nord de la France, en région lyonnaise ou à Marseille... Les britanniques participent également à ce dispositif : au 10 mai 1940, des régiments étaient déployés à Boulogne et dans la région du Havre, par exemple, et il participèrent à la défense d'autres ports lors de leur repli.

Dans le secteur de Paris et de Lyon, il était prévu que les unités de projecteurs travaillent également avec les escadrilles de chasse de nuit. Cinq groupements mixtes de chasse de nuit avaient été ainsi créés : quatre autour de la capitale et un à Lyon. Malheureusement, les exercices réalisés durant la "Drôle de Guerre" montrèrent l'impossibilité de travailler en collaboration entre projecteurs et appareil de chasse de nuit... la vétusté des premiers en seraient la cause. Faute de matériel moderne, ce système fut abandonné.

Enfin, la défense antiaériennes était également assurée par des compagnies de ballons de protection. Ces dernières éraient principalement disposées en région parisienne, le long de la Seine et jusqu'au Havre. Elles appartenaient majoritairement à l'Aérostation, mais la Marine possédaient également ses propres unités. Ce dispositif de protection permettait de lutter contre les attaques effectuées à basse altitude. Le matériel avait généralement souffert des conditions de stockage et les conditions métrologiques de l'hiver occasionnèrent d'autres pertes, réduisant encore les moyens disponibles.

Efficacité :

Globalement la DCA française a laissé une image d'inefficacité... surtout lorsqu'on la compare à son homologue allemande (les Néerlandais étaient également loin d'être mauvais).

Durant la "bataille de France" le colonel Jean-Pierre PETIT évalue à 300 le nombre "d'appareils abattus" entre mai et juin 1940 ; il s'agit probablement de revendication. À titre de comparaison, la chasse française revendique 624 victoires sûres*. Toutefois, dans les faits, chaque victoire ne reflète pas nécessairement un appareil réellement abattu ; et il en va de même pour ceux attribués à la DCA ! En outre, derrière ses chiffres, il faut reconnaître une autre réalité : à notre connaissance, jamais l'artillerie anti-aérienne n'a pu empêcher un bombardement d'avoir lieu.

À titre d'exemple, on peut considérer les bombardements réalisés dans le cadre de l'opération Paula, le 3 juin 1940. La DCA parisienne comptait alors une force impressionnante : 58 batteries de canons de 75 mm à 105 mm, 15 batteries de canons de 25 mm et 40 mm, 9 compagnies de mitrailleuses de 13,2 mm et 22 sections de ballons de protection. Il faut y ajouter la DCA des terrains d'aviations, généralement des pièces légères. Malheureusement tout cet arsenal ne servit à rien. Certaines batteries furent incapables de tirer, d'autres gaspillèrent leurs munitions contre des avions volant trop haut... Aux dires des allemands, seuls les canons de 90 et 94 mm les génèrent. Une unique victoire aurait été homologuée mais elle ne correspond à aucune perte connue ! Nous ignorons le nombre de bombardiers touchés, mais les dégâts furent apparemment légers.

Romain Lebourg
Administrateur de la Section Air du Collectif France 40
Membre de France 40 reconstitution et Normandie-Bretagne reconstitution
Auteur du Blog de l'aviation de reconnaissance et d'observation

* Des études plus récentes donnent 120 "appareils abattus" pour la DCA (P. Facon, L'armée de l'Air dans la tourmente, Économica, 2005) et 355 appareils abattus par l'Armée de l'Air (Arnaud Gillet, Les victoires de l'aviation de chasse française, chez l'auteur, 2003)... - Merci au contributeur qui me les a signalée.

Uniforme :


 La tenue présentée est celle d'un artilleur d'une batterie de 75 mm non identifiée, en tenue de combat.

 Il porte une vareuse Mle 20 et un pantalon-culotte Me 22 en drap kaki, un casque Mle 1936 pour le personnel la DCA. Ce casque ressemble au Mle 1935 pour troupes motorisées mais dispose d'échancrure pour permettre l'utilisation d'écouteurs. Pour des raisons de discrétion, les volets de combat cache ses pattes de col.

 L'équipement en tenue de combat est très léger : un ceinturon Mle 1903/14 et la musette de l'ANP 31. Il pouvait l'être davantage lors des chauds mois de mai et juin 1940 et on peut imaginer le port du bourgeron, par exemple.

Collection de Maxime Dubois.
 Insigne du XIe groupe du 405e RADCA. Ce groupe de trois batteries était équipé de canons de 75 mm Mle 17/34 sur remorque. Il fut affecté à la VIIe puis à la VIIIe Armée. Il combattit du 12 mai au 21 juin 1940.

Collection de  Matthieu Joineau
  Pattes de col pour cadre du 405e RADCA. Ces pattes comportent des chiffres brodés en cannetille or, sur drap de fond écarlate. Elles n'ont jamais été achevées : il manque les deux soutache bleu foncé sur chacune d'elles.

Collection de  Matthieu Joineau

Sources :
  • Archives des forces aériennes et forces terrestre anti-aériennes de la Ve Armée, SHD/Air
  • Article Wikipedia sur la 3rd Anti-Aircraft Brigade (en anglais)
  • Aujas Pierre-François, Une affaire d'opportunité : le 94 CA de sa Majesté, GBM n°113, juillet-août-septembre 2015
  • Aujas Pierre-François, Défense rapprochée contre-avions 1re partie : Panorama d'ensemble, GBM n°124, avril-mai-juin 2018
  • Aujas Pierre-François, Défense rapprochée contre-avions 2e partie : Les 40 mm Bofors, GBM n°125, juillet-août-septembre 2018
  • Aujas Pierre-François, Défense rapprochée contre-avions 3e partie : Oerlikon 20 mm CA 39, GBM n°126, octobre-novembre-décembre 2018
  • Campo Alain, Groupes mixtes de chasse de nuit, Traditions des escadrilles de l'armée de l'Air
  • Comas Matthieu, 3 juin 1940 : Opération Paula, Batailles Aériennes n°47, janvier-février-mars 2009
  • Comas Matthieu, Un matériel idéal dans un contre-emploi parfait : nos Bofors en 1940, GBM n°104, avril-mai-juin 2013
  • Palmieri Bernard, L'aérostation de l'armée de l'Air 1934-1946 : les unités, les opérations, les matériels, coll. Histoire de l'aviation n°40, éd Lela Presse 2019
  • Petit Jean-Pierre (colonel), Un siècle de défense sol-air française, mémoire 1987
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